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La réforme des retraites est nécessaire et efficace mais il faut continuer de veiller à l'équité


La réforme des retraites du gouvernement Borne, en particulier le report de l'âge légal à 64 ans (l'âge minimum pour recevoir une pension incomplète) soulève de fortes protestations. La majorité des groupes politiques de l'opposition, notamment la NUPES et le RN sont contres, ainsi que les principaux syndicats de salariés comme la CFDT et la CGT. La majorité de l'opposition réclame son retrait (davantage que des modifications) et la critique de la réforme consiste en 3 axes : inutilité, inefficacité, injustice. Inutilité puisqu'il n'y aurait pas de problème nécessitant une réforme. Inefficacité puisque la réforme ne résoudrait par le problème auquel elle prétend répondre. Et injustice puisque la réforme épargnerait les classes favorisées et affecterait les classes défavorisés.

En revanche, partisans et opposants de la réforme ne s'opposent pas sur la nécessité d'un système de retraite sur le principe de la solidarité (retraites par répartition) et sur sa pérennité. Or pour être pérenne, le système de retraite nécessite que son financement soit viable.

Sur la "nécessité" de la réforme

Le rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) a été lu et commenté par de nombreux commentateurs des divers camps politiques. A la fois pour justifier la "nécessité" et "l'inutilité" de la réforme des retraites. Ce rapport se situe donc au cœur du débat sur la réforme des retraites.

La dernière version de ce rapport est datée du septembre 2022 et est accessible ici. Il y présente 4 scénarios, selon 2 conventions (méthodes de calcul), EPR (Equilibre permanent des régimes) et EEC (Effort de l’Etat constant).

Jusqu'à 2032, le rapport du COR prévoit un déficit s'aggravant jusqu'à 0,4 et 1% du PIB.

Puis dans tous les scénarios envisagés, le système reste en déficit jusqu'au moins 2039. Dans le cas de la première convention (celle qui "reflète la législation actuelle du système de retraite"), seul le scénario le plus optimiste prévoit un retour à l'équilibre en 2058. Dans le cas de la 2nde convention, basée sur le cas hypothétique d'une contribution constante de l'état en part de PIB, les 3 scénarios les plus optimistes prévoient un retour à l'équilibre entre 2039, 2043 et 2058. Mais les projections à long terme sont forcément moins fiables qu'à court terme.

De 2022 à 2032, la situation financière du système de retraite se détériorerait avec un déficit allant de -0,5 point de PIB à -0,8 point de PIB en fonction de la convention et du scénario retenu. La dégradation de la situation financière de début de période (2022-2027) est principalement à relier à la dégradation de la part des ressources dans la richesse nationale : la baisse de la part des traitements indiciaires des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers cotisant à la CNRACL dans la masse totale des rémunérations a un effet négatif sur la part des ressources dans le PIB, ce régime ne bénéficiant pas de la contribution d’équilibre et ayant un taux de cotisation supérieur aux personnes en emploi dans le privé. Il convient de souligner le caractère paradoxal de ce résultat, les mesures d’économie sur la masse salariale publique se traduisant par une détérioration du solde du système de retraite. La dégradation du solde global se prolongerait de 2028 à 2032 avec la période de faible croissance liée à la transition du taux de chômage vers sa cible de long terme. Le creusement du déficit serait alors largement porté par les régimes de base du secteur privé. Avec une cible de taux de chômage à 4,5 % et non plus de 7 %, le déficit serait moindre à l’horizon 2032 mais s’élèverait encore à -0,5 point de PIB.

Sur les 25 prochaines années, le système de retraite serait en moyenne déficitaire, quels que soient la convention et le scénario retenus. À plus long terme, la situation financière du système de retraite dépendrait fortement de la convention et du scénario retenus. Avec la convention EPR, le solde du système de retraite resterait négatif à moyen terme dans l’ensemble des scénarios et ne reviendrait progressivement positif que dans le scénario 1,6 %. Le système de retraite resterait durablement en besoin de financement dans les autres scénarios (de -1,9 % du PIB dans le scénario 0,7 % et -0,4 % dans le scénario 1,3 %). Avec la convention EEC, le système de retraite reviendrait progressivement à l’équilibre dans trois scénarios sur quatre. Le solde varierait entre -0,7 % (scénario 0,7 %) et 1,5 % (scénario 1,6 %) du PIB en 2070.

Ainsi, pour garantir le financement du système de retraite pour les décennies à venir, la Cour des comptes estime qu''il faut "Continuer à adapter le système de retraite pour résorber les déficits et renforcer l’équité".

L’équilibre financier du système de retraite par répartition selon lequel les générations les plus jeunes en activité financent, notamment par leurs cotisations, les retraites des générations les plus âgées, est fragilisé par le vieillissement de la population. La résorption des déficits (13Md€ en 2020) passe par une maîtrise des dépenses de retraite qui s’inscrit dans le contexte plus large de maîtrise des dépenses sociales et de retour durable de la sécurité sociale à l’équilibre financier.

Mais diverses solutions, plus ou moins efficaces, sont proposées par le gouvernement et certains opposants à la réforme.

Sur "l'efficacité" de la réforme

Combler le déficit du système des retraites par l'état ?

Si le système de retraite est en déficit, l'état ne pourrait-il pas simplement combler le déficit ?

Premier problème, notre système de retraite fonctionnant par répartition, c'est aux actifs de financer la pension des retraités. Revenir sur cela, c'est revenir sur le principe de la solidarité intergénérationnelle.

Autre problème plus important, le budget de l'état est lui même en déficit chronique depuis 1974 (INSEE), et un taux d'endettement par rapport au PIB quasi-systématiquement croissant depuis lors. Les finances publiques françaises ne vont évidemment pas s'effondrer du jour au lendemain, mais l'endettement ne peut croitre à l'infini, et à ce rythme, une correction est un jour inévitable. Il n'est pas responsable d'attendre d'atteindre un seuil critique qui provoquera une réaction brutale pour réagir, surtout si l'on souhaite la pérennité de ce système.

Qui plus est, favorisé par la politique monétaire très accommodante de la Banque centrale depuis la crise des subprimes, l'état a profité des taux exceptionnellement bas et décroissants pour emprunter à pas cher, voire à taux négatif. Ce temps est maintenant révolu puisque les taux remontent brutalement depuis 2021 (-0,.4% en 2020, 2,7% en 2023). Rendant le financement de l'état d'autant plus couteux et fragile.

Ce problème est d'ailleurs soulevé par la Cour des Comptes en 2022 :

La dégradation des finances publiques au sortir de la crise sanitaire appelle à la construction d’une trajectoire de finances publiques crédible, capable d’assurer la soutenabilité de la dette et une croissance sur le long terme, notamment afin d’éviter un décrochage de la France avec le reste de la zone euro.

A ce sujet, la réforme doit non seulement permettre de pérenniser le financement du système de retraite, elle doit aussi aider à assainir plus globalement les finances publiques françaises, dont les retraites sont l'un des postes les plus importants.

Rediriger d'autres dépenses ?

Autre solution : Combler le déficit des retraites en redirigeant d'autres dépenses de l'état. Encore faut-il préciser lesquelles, et en assumer politiquement les conséquences. A priori, aucun responsable politique, que ce soit au gouvernement ou dans l'opposition, ne propose de sacrifier d'autres dépenses publiques pour combler les dépenses des retraites.

Prélever des recettes supplémentaires ?

Le déficit étant la différence entre les dépenses et les recettes, et si il est difficile de réduire les dépenses, pourquoi ne pas augmenter les recettes de l'état ?

Comme l'indique la Cour des comptes, la France a déjà l'un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés de l'Union Européenne (sources : INSEE, OECD). Un taux de prélèvement obligatoire a des conséquences économiques à long terme puisqu'elle réduit l'attractivité économique, donc les investissements, donc la croissance et les revenus futurs, et in fine les recettes de l'état et les cotisations, servant à financer le système de retraite.

Dans son rapport "Publications La situation et les perspectives des finances publiques" de 2022 (page 141), la Cour des Comptes écrit :

S’agissant des taux de cotisation, la Cour a déjà indiqué que leur augmentation n’était pas la voie à privilégier, la France ayant le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l’Union européenne.

Qui plus est, nous consacrons déjà un pourcentage important du PIB aux retraites. Le rapport du COR présente ici l'évolution des dépenses du système de retraite en % du PIB, selon les mêmes 4 scénarios que précédemment. De 13.8% en 2021, elle augmenterait jusqu'à 2032 pour atteindre entre 14.2% et 14.7%. Pour ensuite atteindre entre 12.1% et 14.7% à l'horizon 2070. Et encore une fois, les prévisions à long terme sont moins fiables qu'à court terme.

Il est difficile d'estimer un % de PIB idéal à consacrer aux retraites. 5% ? 10 % ? 15% ? 20% ? Plus ? Pourquoi pas plus ou moins ? A partir de quand est-ce trop ou pas assez ? Quel est le bon seuil pour concilier le financement des retraites, sa soutenabilité, et les autres dépenses publiques ?

C'est une question qui est davantage politique que technique et il est difficile d'y répondre par un nombre optimal précis. Cependant, que ça soit trop haut ou trop bas, il y a des avantages et des inconvénients, et à titre indicatif, nous pouvons nous comparer aux autres pays développés.

Ainsi, comme le constate le COR :

En 2017 (derniers chiffres connus), les prestations publiques et privées de retraite représentent en moyenne 11,8 % du PIB de l’ensemble des pays étudiés par le COR35. L’Italie (16,7 %), la France (13,9 %) affichent les niveaux de dépenses de retraite en part du PIB les plus élevés. Les États-Unis (12,4 %), le Japon (11,9 %), la Belgique (11,6 %) et l'Espagne (11,2 %), sont proches de cette moyenne. Plusieurs pays consacrent une part moins élevée de leur PIB aux dépenses de retraite. C'est le cas de l'Allemagne (11,0 %), du Royaume-Uni (10,8 %), de la Suède (10,3 %), du Canada (10,3 %) et des Pays-Bas (9,8 %)

Ou encore la Cour des comptes :

Malgré cela, en comparaison internationale, les dépenses de retraite représentent encore une part élevée du PIB (14,7 % en 2020), l’âge moyen de cessation d’activité est plus faible, compte tenu en particulier de la fréquence des départs anticipés à la retraite, et le niveau de de vie moyen des retraités est élevé, supérieur à celui de la population.

Et l'OCDE :

La France consacre ainsi environ 2% de son PIB de plus que le reste de l'Europe à ses dépenses de retraite. Autre élément de réflexion sur le pourcentage du PIB consacré aux retraites, et comme le fait remarquer la Cour des comptes ou la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dares) : les retraités ont un niveau de vie plus élevé que les actifs. La situation actuelle crée donc des inégalités en défavorisant les actifs au profit des retraités, ce qui serait encore accentué si l'on augmentait les prélèvements pour augmenter les dépenses de retraite.

Diminution des pensions ?

La diminution des pensions permettrait de rééquilibrer les dépenses de retraite tout réduisant l'écart de niveau de vie entre retraités et actifs mais elle aggraverait la perte de pouvoir d'achat des retraités, à un moment où le sujet est déjà particulièrement sensible. C'est ainsi une solution défendue a priori par aucun groupe politique de premier plan, sans doute pour des raisons électorales.

Par ailleurs elle ne résoudrait pas un autre problème : le faible taux d'emploi des seniors, et la perte d'une main d'oeuvre expérimentée, et donc une croissance moindre. Les français partent en effet en moyenne 2,5 années en deçà des autres pays, selon les statistiques de l'OCDE. Et selon le COR, cet écart persistera à long terme :

Ceci s'explique en partie parce que, toujours selon le COR, la France a l'un des âges légaux (âge d'ouverture des droits) les plus précoces (avec un écart qui va encore augmenter dans le futur) :

Augmenter le taux d'emploi des seniors et âge effectif de départ à la retraite

Retarder l'âge effectif de départ à la retraite permettrait à la fois d'augmenter les recettes et de baisser les dépenses des retraites, tout en augmentant le taux d'emploi des seniors.

Ainsi, la Cour des comptes estimait déjà en 2021 qu'il faudra passer par un recul des âges de départ à la retraite :

Pour y parvenir, les paramètres sont nombreux (âge d’ouverture des droits à retraite, dispositifs de départ anticipé, conditions pour une retraite à taux plein, indexation des pensions, etc.) mais, in fine, la maîtrise des dépenses de retraite passe par un recul des âges de départ à la retraite ou une baisse du niveau relatif des pensions.

Et dans son rapport "La situation et les perspectives des finances publiques" de 2022 :

Afin de restaurer la soutenabilité du régime, il semble préférable d’agir sur l’âge de départ effectif à la retraite, en décalant l’âge légal de départ ou en faisant évoluer la durée d’activité nécessaire afin de bénéficier d’une retraite à taux plein. En moyenne, l’âge effectif de départ était en 2019 de 62,3 ans pour les hommes et de 62,2 ans pour les femmes, un chiffre inférieur à celui observé au sein des pays de l’Union européenne (64 ans et 63,5 ans en moyenne). Cet écart pose question car la France présente pourtant une espérance de vie à 65 ans de 23,2 ans pour les femmes, la plus élevée de tous les pays de l’Union européenne et de 19,1 ans pour les hommes, soit un niveau supérieur à celui observé dans la plupart des pays voisins.

Quant à la simplification des règles et à l'harmonisation du système… il est vraisemblablement peu efficace et juste de conserver 40 régimes différents.

Convergences et divergences avec la CFDT

La CFDT, principal syndicat des salariés français, estime elle aussi dans son argumentaire de janvier 2023 qu'il y a bien un "besoin de financement" à régler bien qu'il ne soit "pas catastrophique" et s'accorde avec le gouvernement sur l'objectif d'augmenter le taux d'emploi des seniors, pour le ramener à un niveau comparable à la moyenne européenne.

En revanche pour y parvenir, le gouvernement a retenu le report de l'âge légal, alors que la CFDT souhaite que l'allongement de la durée des carrières se fasse sans contrainte :

Une hausse de 10 points de l’emploi des séniors – qui consisterait à le ramener à un chiffre comparable à la moyenne de nos voisins européens – comblerait l’essentiel du besoin de financement.

La bonne solution serait donc de maintenir les personnes en emploi et de créer les conditions pour la poursuite volontaire de la durée d’activité. Les leviers sont ceux de la formation, de la prévention, de l’aménagement de fins de carrière, etc. Il est possible d’agir sur les comportements tout en garantissant la liberté de choix par des mesures incitatives. Par exemple : en améliorant les bonus existant pour celles et ceux qui travaillent au-delà de la durée requise pour le taux plein.

Or, nos voisins européens ont des taux d'emploi des seniors plus élevés notamment parce que selon le comparatif international du COR (page 96) :

Depuis plusieurs années, certains pays ont programmé des hausses des âges légaux de départ à la retraite (de manière directe, ou par indexation sur l’évolution projetée de l’espérance de vie). Ces hausses se sont répercutées, et continueraient de le faire, sur l’âge moyen de sortie du marché du travail, via l’effet horizon (impact des âges de la retraite sur l’offre et la demande de travail).

Quant aux autres leviers non contraignants mentionnés par la CFDT (la formation, de la prévention, de l’aménagement de fins de carrière, etc.), ils sont utiles mais peu documentés et chiffrés pour prétendre à une hausse optimiste et suffisante de 10 points de l'emploi des séniors. D'autant que la France est déjà l'un des pays qui consacrent déjà le plus de dépenses à son marché du travail (OCDE), et que selon le comparatif du COR (page 109) le taux de remplacement (ratio des pensions par rapport aux salaires) élevé en France rend la poursuite de la carrière moins attrayante qu'ailleurs :

L’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et la France forment un groupe de pays dans lequel le taux de remplacement net pour une carrière complète au salaire moyen est élevé (74 % pour la France et plus de 80 % pour les trois autres pays), malgré des modalités de calcul des droits et des conceptions différentes des systèmes de retraite.

Par ailleurs, la CFDT souhaite que cette hausse soit accompagnée d'une hausse des cotisations, notamment patronales, puisque qu'elle "considère toutefois que tout l’effort ne peut pas reposer sur les seuls travailleurs et travailleuses" :

Pour la CFDT, l’augmentation des cotisations, notamment patronales, doit pouvoir être envisagée en cas de refus d’engagement des employeurs sur l’emploi des séniors.

De même, pour financer une meilleure prise en compte de la pénibilité, la CFDT revendique la restauration de la cotisation patronale supprimée en 2017.

Or là encore pour nous comparer à nos voisins européens, comme vu précédemment la France a déjà l'un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés, et plus spécifiquement déjà l'un des niveaux de taxes sur les salaires les plus élevés selon les statistiques les plus récentes de l'OCDE (Table 1.1.), avec 47%, 4ème pas loin derrière la Belgique, l'Allemagne et l'Autriche, contre une moyenne à 34.6% pour l'OCDE.

Sur la "justice" de la réforme

Les adversaires de la réforme lui reprochent fortement d'être inégalitaire et injuste, pour différentes raisons. Il y a à ce niveau un débat de fond sur la réforme des retraites, davantage d'ordre systémique et qui prend parfois le dessus sur les autres considérations (utilité, efficacité, etc.) et qui réduit le débat à des partis pris idéologiques prédéterminés. Il y a d'autre part, une critique davantage technique et en rapport aux conséquences de la réforme des retraites.

Débat systémique

Le sujet des inégalités est un débat plus large que celui spécifique aux retraites, qui mériterait un article dédié. Mais on ne peut pas non plus complètement s'en dispenser dans le débat sur la réforme des retraites.

Contre les inégalités, une partie de la classe politique propose d'imposer les grandes fortunes, notamment les milliardaires. Comme vu précédemment, les prélèvements obligatoires en France sont déjà parmi les plus élevés d'Europe et nous consacrons déjà une part importante de nos revenus aux retraites. Mais par rapport à la justice, personne n'a besoin, ou ne mérite de posséder des milliards, soit 10 000 fois plus que le ménage médian. Il est légitime de demander une redistribution des plus grandes fortunes vers les plus petites en particulier, afin de permettre au plus grand nombre d'avoir un niveau de vie décent.

Encore faut-il que son application n'aient pas des effets pervers plus graves que les bénéfices, et qu'elle serve son objectif efficacement, c'est à dire augmenter le niveau de vie des plus pauvres à court terme et à long terme.

Le patrimoine d'un individu consiste en deux types de biens. Les biens personnels et les biens professionnels. Les biens personnels, sont ceux dont la l'individu jouit personnellement. Biens de consommation, logement et véhicules personnels, etc. Et les biens professionnels sont les biens utilisés pour activité économique, pour produire de nouvelles richesses.

Contrairement à la majorité de la population, le patrimoine des très grandes fortunes est essentiellement constitué de parts d'entreprises. Bien qu'un milliardaire ait mathématiquement le patrimoine de 10 000 ménages médians, il n'a pas le niveau de vie cumulé de 10 000 ménages médians (même si évidemment, la plupart des milliardaires vivent luxueusement). Ce n'est pas un niveau de vie que l'on redistribue, mais principalement des biens de production. L'imposition de ces biens professionnels obligerait les actionnaires à revendre leurs parts et cela aurait deux conséquences : le rachat des entreprises françaises par des individus étrangers non assujetti à l'imposition française, et le prélèvement d'une partie des investissements et de biens de production, pour payer cet impôt. Imposer le patrimoine professionnel, c'est donc prélever aujourd'hui des richesses pourtant destinées à produire les nouvelles richesses du pays, donc un bénéfice à l'instant t en sacrifiant le bénéfice à plus long terme. Certes, d'un point de vue purement comptable, cela réduirait les inégalités. Au détriment cependant de notre système économique et donc des richesses nationales à redistribuer dans le futur, y compris pour les classes populaires, et sans impacter significativement les inégalités des biens qui participent aux niveaux de vie des individus. Concrètement c'est donc davantage un dilemme entre le développement économique futur et la lutte contre la pauvreté à court terme, qu'un simple dilemme moral entre égalités et inégalités, en particulier en terme d'inégalités de niveau de vie.

Egalement du fait de cette spéculation, la valeur d'une action fluctue au gré des spéculations, sans que l'entreprise ne se soit nécessairement enrichi. L'impôt sur cette base est donc particulièrement instable et peu fiable et il en sera d'autant plus affecté par les aléas de la bourse. D'ailleurs, aucun groupe politique important ne soutient de remplacer notre système de retraite actuel par un système par capitalisation, en particulier à cause de son risque.

Le risque d'exil fiscal est aussi à considérer, puisque les grandes entreprises seront incitées à installer leurs sièges sociaux dans d'autres pays. Certes, c'est moins de grandes fortunes en France, et donc techniquement moins d'inégalités, mais sans que cela ne soit bénéfique aux classes populaires.

Certes, d'autres pays, y compris la France par le passé, ont une taxe sur la fortune, mais elle est dans la majorité des cas, si faible, et si facilement contourable par de nombreuses exceptions, qu'elle relève plus d'une mesure symbolique que d'un véritable moyen de financement significatif.

Les inégalités restent une question majeure mais il existe d'autres solutions plus pragmatiques pour améliorer le niveau de vie des classes défavorisés, et ce débat dépasse largement celui de la réforme des retraites.

Débat technique

En parallèle au débat systémique et idéologique sur les inégalités, il y a une critique plus technique et détaillée sur les conséquences spécifiques de la réforme, dénonçant une injustice dans le fait que la réforme affectera en pratique davantage des groupes déjà défavorisés. Elle ne remet cependant pas en cause la nécessité et l'efficacité de la réforme pour équilibrer le budget.

A cause de sa mesure principale, le report de l'âge légal à 64 ans, l'opposition à la réforme dénonce le fait que la réforme affectera principalement ceux qui partent le plus tôt, avant ou peu après l'âge légal.

Notamment :

  • les travailleurs peu qualifiés, rentrés tôt sur le marché du travail et qui atteignent l'âge légal à taux plein
  • les travailleurs de métiers pénibles, qui préfèrent partir le plus tôt possible quitte à avoir une forte décote, que de faire quelques années de plus avec un corps fatigué
  • les mères qui obtiennent des années de majorations pour chaque naissance, et qui ont droit au taux plein dès l'âge légal

Alors qu'à l'inverse, cette réforme aurait peu d'impact pour les hommes avec de longues études et avec des métiers physiquement peu difficiles, et pourtant déjà favorisés. Elle ferait ainsi injustement porter l'effort sur les mères et les catégories populaires et moyennes qui ont fait des études courtes, et qui ont de surcroit une espérance de vie plus courte.

Cependant, l'étude d'impact estime ainsi que "le gain moyen en pension du fait de la réforme, en raison principalement des décalages de départs liés à la hausse de l’âge légal (et de leur répercussion sur le salaire de référence, le taux de proratisation, le taux de liquidation" (page 41). Aussi, toujours selon l'étude d'impact, la revalorisation des petites pensions bénéficiera à "Entre 60 et 70% des assurés les plus modestes" pour "une hausse moyenne de la pension annuelle de plus 400 €" (page 110).

Par ailleurs, plusieurs dispositions ont été ajoutées à la réforme lors des négociations de la commission mixte paritaire :

  • renforcer le dispositif des carrières longues en créant deux nouveaux paliers, permettant notamment à ceux ayant commencé à travailler avant de 18 ans ou 21 ans de bénéficier d'un départ anticipé à 60 ans ou 63 ans respectivement.
  • un départ anticipé à 60 ans pour incapacité permanente
  • une surcote pour les mères de famille qui verront les montants de leurs pensions augmenter et réduire ainsi les inégalités entre les pensions des femmes et des hommes

En plus de ce que la réforme prévoyait déjà :

  • pour le "compte professionnel de prévention", des critères élargis et des points plus faciles et avantageux à acquérir, ouvrant droit à un droit à la reconversion
  • la possibilité d'un départ anticipé à la retraite après une visite à 61 ans auprès de la médecine du travail

Une réforme nécessaire mais un débat complexe toujours ouvert sur la justice

Oui, la réforme va augmenter la durée de vie consacrée au travail, au réduire de la durée de la retraite. Réduire la durée de travail est pourtant un idéal, mais on ne peut arbitrairement s'octroyer des bénéfices sociaux sans considérer la situation réelle et ses limites. Or, l'état français dépense bien plus qu'il ne perçoit, et consacre une grande partie de ces dépenses à la retraite. On ne peut délibérément ignorer les contraintes de la réalité, au risque de tomber dans la démagogie en prenant le risque peu responsable de mettre en difficulté les futurs dépenses publiques et droits sociaux. Vouloir n'est pas suffisant, il faut aussi pouvoir, durablement.

Des changements sont donc nécessaires pour assurer la pérennité de notre système de retraite. Malheureusement, les leviers sont limités puisque la France a déjà des dépenses de retraite élevés, des dépenses publiques élevés et des prélèvements obligatoires élevés, ce qui fait de nous l'un des pays qui met déjà le plus à contribution sa richesse nationale pour financer l'un des systèmes de retraite les plus généreux.

En revanche le souci nécessaire de justice complique le débat sur la réforme des retraites. Il est nécessaire de veiller à ce qu'elle n'aggrave pas les inégalités, si possible les réduise, et d'y remédier si ça n'est pas le cas. En effet, le report de l'âge légal affecte davantage des groupes déjà défavorisés. En revanche, d'autres mesures sont prévues pour contrebalancer ces effets. Le sujet étant complexe et soumis à de multiples contraintes, la discussion reste ouverte à de nouvelles études pour veiller à ce que la réforme n'aggrave pas les inégalités.

Plutôt que d'exiger son retrait en niant sa nécessité, il faut continuer à étudier et surveiller ses impacts concrets et la compléter des mesures nécessaires pour corriger les injustices et accompagner du mieux possible la fin de carrière des seniors, tout en répondant efficacement à l'objectif de pérenniser le système des retraites.