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Le nucléaire augmente nos chances de limiter le réchauffement climatique


Le réchauffement climatique est une réalité et les émissions de gaz à effet de serre en sont en grande partie responsables. Ces gaz proviennent notamment des combustibles fossiles qui nous permettent de produire de l'énergie. Energie dont l'humanité a besoin pour vivre et se développer. Cependant il y a des alternatives aux énergies fossiles, notamment les énergies renouvelables et le nucléaire. Le nucléaire ne fait cependant pas l'unanimité pour diverses raisons (risques, coûts, déchets, etc.) bien puisqu'il puisse pourtant aider à faire face au défit majeur qu'est le réchauffement climatique.

La situation actuelle

Pour faire un choix à propos du nucléaire, il est utile de connaître la situation climatique et énergétique actuelle.

Le réchauffement climatique

Le réchauffement climatique est une réalité reconnue par l'ensemble des groupes politiques, du NPA jusqu'au parti d'Eric Zemmour, bien qu'ils ne défendent pas les mêmes solutions. Ce phénomène d'ampleur conditionne fondamentalement notre politique énergétique pour les décennies à venir. A ce titre, il est étudié par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), une organisation intergouvernementale regroupant 196 pays signataires.

Dans son rapport publié le 20 mars 2023 (résumé accessible ici en anglais), il est écrit (traduit en français) :

La température à la surface du globe était de 1,09°C [0,95°C-1,20°C] plus élevée en 2011-2020 qu'en 1850-19006. avec des augmentations plus importantes sur les terres (1,59°C [1,34°C-1,83°C]) que sur les océans (0,88°C [0,68°C-1,01°C]). La température de surface au cours des deux premières décennies du XXIe siècle (2001-2020) était supérieure de 0,99 [0,84 à 1,10] °C à celle de 1850-1900. par rapport à la période 1850-1900. La température à la surface du globe a augmenté plus rapidement depuis 1970 qu'au cours de toute autre période de 50 ans au cours des 2000 dernières années au moins (degré de confiance élevé)

La fourchette probable de l'augmentation totale de la température à la surface du globe causée par l'homme entre 1850-1900 et 2010-2019 est de 0,8°C à 1,3°C, avec une meilleure estimation de 1,07°C. Au cours de cette période, il est probable que les gaz à effet de serre (GES) bien mélangés aient contribué à une augmentation de la température à la surface de la Terre.

Les augmentations observées des concentrations de GES bien mélangées depuis environ 1750 sont sans équivoque causées par les émissions de GES provenant des activités humaines au cours de cette période.

Avec des conséquences sérieuses pour nous :

Nous constatons qu'un nombre croissant d'études scientifiques présentent des preuves multiples de l'impact du changement climatique. L'augmentation des températures et les phénomènes extrêmes modifient le calendrier saisonnier d'événements biologiques clés tels que la floraison, la sortie d'hibernation des animaux ou la migration annuelle, ce qui entraîne des décalages avec d'importantes sources de nourriture saisonnières.

En conséquence, les schémas géographiques et l'abondance régionale et locale des plantes et des animaux changent, avec des conséquences potentiellement graves pour les éleveurs, les agriculteurs, les pêcheurs, les chasseurs, les bergers et les autres personnes qui dépendent directement des services de la nature.

L'augmentation de la fréquence et de la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les vagues de chaleur et les pluies torrentielles, se produit sur tous les continents et dans tous les océans, entraînant des mortalités massives et des extinctions locales, car les effets de ces phénomènes dépassent déjà ce que de nombreux organismes peuvent tolérer.

Plus les écosystèmes sont touchés par des phénomènes extrêmes et plus ces derniers sont intenses, plus ils se rapprochent de ce que l'on appelle des points de basculement. Au-delà de ces points, des changements brusques et, dans certains cas, irréversibles peuvent se produire, tels que l'extinction d'espèces. Ce risque augmente fortement avec l'augmentation de la température mondiale.

Et pour les générations suivantes :

Ses effets s'intensifieront au cours des prochaines décennies et auront de profondes répercussions sur tous les aspects de la vie humaine dans le monde. Nos réserves de nourriture et d'eau, nos villes, nos infrastructures et nos économies, ainsi que notre santé et notre bien-être seront affectés.

Au niveau mondial, le pourcentage de la population exposée à un stress thermique mortel devrait passer de 30 % aujourd'hui à 48-76 % d'ici la fin du siècle, en fonction des niveaux de réchauffement futurs et de la localisation.

Le changement climatique aura un impact sur la qualité et la disponibilité de l'eau pour l'hygiène, la production alimentaire et les écosystèmes en raison des inondations et des sécheresses.

Les jeunes d'aujourd'hui et les générations futures seront également témoins des effets négatifs plus importants du changement climatique sur la production et la disponibilité des denrées alimentaires. Plus il fera chaud, plus il sera difficile de cultiver ou de produire, de transporter, de distribuer, d'acheter et de stocker des denrées alimentaires - une tendance qui devrait toucher le plus durement les populations pauvres.

La nouvelle la plus inquiétante est que tous ces impacts prévus ne réduiront pas seulement les perspectives de développement durable, mais notre rapport du groupe de travail II prévoit également une augmentation de la pauvreté et de l'inégalité, ainsi qu'une augmentation des migrations involontaires de personnes en raison du changement climatique.

(Sources : FAQ 2, FAQ 3)

Engagements climatiques & Accord de Paris

Ainsi en 2015, les 195 pays membres de la COP21 ont adopté l'Accord de Paris. Cet accord énonce des objectifs à long terme destinés à orienter l’ensemble des nations :

  • Réduire considérablement les émissions mondiales de gaz à effet de serre dans le but de limiter à 2 °C le réchauffement planétaire au cours du siècle présent, tout en poursuivant l’action menée pour le limiter encore davantage à 1,5 °C ;
  • Réévaluer les engagements nationaux tous les cinq ans ;
  • Fournir aux pays en développement des ressources financières pour atténuer les changements climatiques, renforcer la résilience et accroître les capacités d’adaptation aux effets produits par ces changements.

Au niveau européen

En décembre 2019, pour respecter ses engagements de l'Accord de Paris, la Commission européenne a présenté un plan pour parvenir à zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050. Il est adopté au parlement européen par 482 voix pour, 136 contre et 95 abstentions.

Au niveau français

En France, les engagements sont déclinés dans sa Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC). C'est la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique dans les décennies à venir.

Cette stratégie inclut 3 objectifs :

  • atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 ;
  • réduire les émissions de gaz à effet de serre de -40 % en 2030 par rapport à 1990 ;
  • à court et moyen termes, respecter les budgets carbone adoptés par décret, c’est-à dire des plafonds d’émissions à ne pas dépasser par périodes de cinq ans.

Demande et production du mix énergétique

En 2021, la France a produit 1 524 TWh d'énergie, dont 1 149,6 TWh par le nucléaire et 364,6 TWh par les énergies renouvelables (EnR) (Ministère de la transition énergétique).

Présent et futur du parc nucléaire français

L'industrie nucléaire française est composée de 56 réacteurs, mais une majorité a été mis en service sur une période de 15 ans, entre 1979 et 1994. En 2050, 54 réacteurs auront 50 ans ou plus. 47 auront 60 ans ou plus. Or à l'origine, la durée prévue d'exploitation des réacteurs était de 40 ans. Il y aura donc une diminution très rapide du parc de réacteurs nucléaires. Ce phénomène se nomme "l'effet falaise" et c'est raison pour laquelle la centrale de Fessenheim (et ses deux réacteurs) a été fermée en 2020.

Il est cependant envisagé de prolonger la durée d'exploitation des autres réacteurs au delà de 50 voire 60 ans. Mais comme le dit la Cour des comptes : "à ce jour, la prolongation des réacteurs à 50 puis 60 ans ne peut être tenue pour acquise, comme le souligne régulièrement l’ASN".

En parallèle, la nouvelle génération de réacteurs nucléaires (EPR & EPR 2) est en cours de développement, notamment avec la construction de l'EPR de Olkiluoto en Finlande et de Flamanville en France. En 2021, Macron a annoncé la construction de 6 à 14 réacteurs EPR 2 supplémentaires pour une mise en service à partir de 2035. Mais même avec la prolongation des réacteurs existants au-delà de 50 ans, et la construction de 14 nouveaux réacteurs, la part du nucléaire dans le mix électrique baissera de 70 % en 2021 à 40 % en 2050 (Les Echos).

Les scénarios énergétiques à long terme

La question du mix énergétique, la part du nucléaire. des EnR, et plus globalement de la stratégie à mettre en oeuvre pour les prochaines décennies est un sujet très complexe. Plusieurs organisations se sont livrés à l'exercice, ont étudié et établi des scénarios pour le futur de notre approvisionnement énergétique, en France (négaWatt, ADEME, RTE) ou mondialement (AIE, GIEC), avec un objectif de neutralité carbone d'ici 2050. Voici ce qu'en disent ces organisations.

Association négaWatt

négaWatt est une association composée de 25 chercheurs qui défend un scénario sans nucléaire à l'horizon 2050, en s'appuyant essentiellement sur la sobriété, l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables. L'association négaWatt a rédigé un rapport de 197 pages pour détailler sa stratégie.

L'association négaWatt ne fait aucune hypothèse de croissance économique (ou décroissance). Elle prévoit la fermeture du dernier réacteur nucléaire en 2045, de diviser par 3 la consommation d'énergie primaire et de multiplier par 3 la production d'énergies renouvelables d'ici à 2050, et une diminution de la consommation finale d'électricité de 407 à 354 TWh en 2050 (Bilans énergie/matière du scénario, page 8).

Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

L’ADEME est un établissement public placé sous la tutelle des ministères chargés de la Recherche et de l'Innovation, de la Transition écologique et solidaire, de l'Enseignement supérieur. Elle suscite, anime, coordonne, facilite ou réalise des opérations de protection de l'environnement et la maîtrise de l'énergie, avec un budget de 943 millions € pour un effectif de plus de 1 000 salariés.

L'ADEME a étudié 4 scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050, dans un rapport de 687 pages. Rapport qui se base sur une croissance économique moyenne de 1.3 % / an.

Les 4 scénarios sont résumés par ces deux image :

Tous les scénarios prévoient une forte augmentation des énergies renouvelables et une forte diminution de l'énergie nucléaire, mais le maintien d'une part de nucléaire (très peu pour le scénario S1). Le scénario S1 est particulièrement axé sur la sobriété avec une diminution de la consommation électrique, de 468 TWh en 2020 à 408 TWh en 2050. Les scénarios S3 et S4 prévoient en revanche la mise en service de nouveaux réacteurs nucléaires.

Réseau de transport d'électricité (RTE)

RTE est le gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité français. 9 586 salariés y travaillent et l'entreprise a fait près de 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2022.

RTE a rédigé un rapport de 992 pages en 2022 détaillant 6 scénarios de mix de production énergétique, en se basant également sur une croissance économique moyenne de 1.3% par / an. Ces scénarios sont résumés par ce tableau :

Sont également adossés à chaque scénario, 3 trajectoires de consommation, résumés par ce tableau :

Avec 467,2 TWh de consommation en 2022.

Toutes les trajectoires de consommation, y compris celle de la sobriété, anticipent une augmentation de la consommation électrique. Tous les scénarios anticipent une augmentation des capacités de production des énergies renouvelables à la fois en absolu et en pourcentage. Avec une sortie complète du nucléaire dans le scénario M0, 50 % de production nucléaire dans le scénario N03 contre 72 % en 2019, et une part de nucléaire dans tous les autres scénarios intermédiaires.

Comme le précise RTE, ces scénarios sont le résultat d'analyses techniques : "Dans les Futurs énergétiques 2050, la part relative du nucléaire à l’horizon 2050 varie selon les scénarios en fonction de la taille projetée du parc nucléaire et du développement anticipé des énergies renouvelables. Cette part est le résultat d’analyses techniques et n’est pas limitée par une contrainte politique qui serait liée à la diversification du mix.".

Agence internationale de l'énergie (AIE)

D'autres organisations ont étudié des scénarios à l'international à l'horizon 2050. C'est le cas notamment de Agence internationale de l'énergie. L'AIE est une organisation internationale fondée à l'OCDE en 1974, basée à Paris, dont 31 pays sont membres. L'AIE est reconnue mondialement pour la publication de son rapport annuel, le World Energy Outlook (WEO), ainsi que ses rapports Energy Technology Perspectives et ses rapports sur les perspectives à moyen terme sur les marchés du pétrole, du gaz naturel, du charbon, et plus récemment des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique.

Le rapport de 524 pages détaille le "Net Zero Emissions Scenario" (NZE) qui vise lui aussi un objectif de neutralité carbone d'ici 2050. Ce scénario implique une croissance économique moyenne mondiale de 2.8 % / an, avec une population passant de 7.8 à 9.7 milliards.

Il prévoit une multiplication par 2.6 de la production électrique entre 2021 et 2050, dont les énergies renouvelables passeront de 28 à 88 %. Le nucléaire diminuera en pourcentage, mais il augmentera en absolu de 2 776 TWh à 5 810 TWh.

Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)

Toujours au niveau international, le GIEC a aussi établit un scénario pour parvenir à la neutralité carbone en 2050. Le GIEC est un organisme intergouvernemental chargé d'évaluer la réalité, les causes et les conséquences du changement climatique en cours, ouvert à tous les pays membres de l'Organisation des Nations unies, et qui regroupe 195 états.

Le GIEC évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts. Il identifie également les possibilités de limiter l’ampleur du réchauffement et la gravité de ses impacts et de s’adapter aux changements attendus. A ce titre, il a publié un rapport de 2 258 pages dans lequel il étudie 1 202 scénarios avec des objectifs de limitation du réchauffement climatique. Ces scénarios sont classés en 8 catégories selon les objectifs de réduction du réchauffement climatique. De la catégorie C1 où le réchauffement est limité 1.5°C à la catégorie C8 avec un réchauffement supérieur à 4°C.

Dans les scénarios étudiés, le PIB doublera au minimum entre 2020 et 2050, même si légèrement inférieure à ce qu'il serait sans de nouvelles mesures (jusqu'à 4.2 % de PIB en moins en 2050) :

Par exemple, par rapport aux trajectoires qui supposent la poursuite des politiques mises en œuvre à la fin de 2020, le PIB mondial évalué atteint en 2050 est réduit de 1,3 à 2,7 % dans les trajectoires modélisées qui supposent une action mondiale coordonnée à partir de maintenant et au plus tard en 2025 pour limiter le réchauffement à 2 °C (>67 %). La réduction moyenne correspondante de la croissance annuelle du PIB mondial sur la période 2020-2050 est de 0,04 à 0,09 point de pourcentage. Dans les scénarios modélisés évalués, quel que soit le niveau des mesures d'atténuation, le PIB mondial devrait au moins doubler (augmenter d'au moins 100 %) au cours de la période 2020-2050. Pour les trajectoires mondiales modélisées dans d'autres catégories de température, les réductions du PIB mondial en 2050 par rapport aux trajectoires qui supposent la poursuite des politiques mises en œuvre à la fin de 2020 sont les suivantes : 2,6-4,2 % (C1), 1,6-2,8 % (C2), 0,8-2,1 % (C4), 0,5-1,2 % (C5). Les réductions correspondantes de la croissance annuelle moyenne du PIB mondial sur la période 2020-2050, en points de pourcentage, sont les suivantes : 0,09-0,14 (C1), 0,05-0,09 (C2), 0,03-0,07 (C4), 0,02-0,04 (C5).

En moyenne, les scénarios de la catégorie C1 impliquent une augmentation moyenne de la production d'énergie nucléaire de 90 % entre 2019 et 2050, et de 25 % pour la catégorie C2. La production d'énergies renouvelables va quant à elles augmenter de 725 % pour la catégorie C1, et de 605 % pour la catégorie C2.

Résumé et incertitudes des scénarios énergétiques

Tous les scénarios anticipent une forte diminution des énergies fossiles et une forte augmentation des énergies renouvelables. Les EnR représenteront un pourcentage de plus en plus important de l'énergie produite. Tous les scénarios sauf celui de négaWatt impliquent aussi une continuité de la croissance économique, mais tout en incluant des mesures de sobriété et une diminution de la consommation des matières premières.

La plupart des scénarios maintiennent une part de nucléaire, et même au niveau international une augmentation en absolu de la production d'énergie nucléaire (même si du fait de la forte augmentation des EnR, la part relative du nucléaire va diminuer).

Les auteurs de ces rapports soulignent aussi les multiples incertitudes, obstacles et limites de leurs scénarios (évolution des prix, acceptabilité sociale, etc.). Ainsi aucun parmi l'ADEME, RTE, l'AIE et le GIEC ne garantissent la faisabilité de leurs scénarios. Les obstacles sont d'ailleurs synthétisés par le GIEC dans le tableau suivant :

Le développement du nucléaire présente des difficultés, mais aucune solution n'est sans difficulté. Par exemple pour l'énergie solaire, la gestion des déchets peut être un frein important. Pour l'éolien, c'est l'extensibilité. Ou encore les effets économiques pour la sobriété. Ces obstacles ne permettent à aucune filière d'assurer seule la réduction du réchauffement climatique, et rendent d'autant plus nécessaire de les combiner pour augmenter les chances.

Le nucléaire face aux alternatives

Alors même que le nucléaire fait parti de la plupart des scénarios énergétiques, pourquoi est-il décrié par certains, et peut-il être totalement remplacé par ses alternatives ? Quels sont les avantages et inconvénients de chaque solution ? Selon ses détracteurs, le nucléaire a plusieurs graves défauts. Il serait notamment dangereux, coûteux, polluant et ne nous permet pas d'être indépendant énergétiquement. Certains souhaiteraient ainsi le remplacer entièrement par les énergies renouvelables, l'efficacité et la sobriété énergétique.

Dangers de la radioactivité

La principale critique faite au nucléaire, en particulier en comparaison des EnR, est sa dangerosité. Le nucléaire se distingue des autres énergies par le fait qu'il peut potentiellement impacter une zone très vaste et pendant une très longue période à cause de la durée de vie de la radioactivité et de sa propagation, avec une augmentation des cancers, des malformations, des problèmes de stérilité, ... C'est en revanche aussi la source de production d'énergie la plus surveillée et avec les conditions de sécurité les plus strictes. Tous les réacteurs sont ainsi soumis aux contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire en France.

De part sa nature, le nucléaire fait peur. Il est invisible et complexe. Il est aussi utilisé dans le domaine militaire par le biais des armes nucléaires. Tout cela influence notre perception du nucléaire et il est nécessaire de rationnaliser sa sa dangerosité réelle. Preuve du rejet parfois irrationnel qu'inspire le nucléaire : un sondage IPSOS de 2021 révélait que 55% des 18-35 ans pensent que le nucléaire émet autant d’équivalents dioxyde de carbone (CO2) que le gaz ou le charbon.

Théoriquement, le nucléaire peut être extrêmement destructeur et par définition le risque futur est impossible à définir précisément, donc il sera toujours soumis à une part de fantasme. Mais qu'en est-il en pratique ?

En pratique, depuis les débuts du nucléaire civile dans les années 70, l'accident le plus grave survenu en France est celui Saint-Laurent-des-Eaux en 1980, mais sans conséquence sanitaire. Dans le monde, il y a eu 2 accidents majeurs (Tchernobyl en 1986 & Fukushima en 2011) et 1 accident avec risque extérieur (Three Mile Island en 1979), avec des conséquences pas clairement établies pour ce dernier.

Depuis, l'OMS a étudié les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl. 20 ans après la catastrophe, l'OMS a estimé que 4 000 décès sont imputables à Tchernobyl et que 4 000 décès supplémentaires pourraient survenir pendant la durée de vie des 600 000 personnes (3 940 décès en tout dus à un cancer-radio induit ou à une leucémie parmi les 200 000 membres des équipes d’intervention entre 1986 et 1987, les 116 000 personnes évacuées et les 270 000 habitants des zones les plus contaminées). Par ailleurs 404 000 personnes ont été réinstallés ailleurs selon l'ONU.

Quant à Fukushima, pour les travailleurs dans la centrale, un mort et cinq malades ont été associés aux rayonnements, 10 morts ne sont pas associées aux rayonnements et 16 blessés en raison des explosions, selon les données officielles des autorités japonaises. En dehors des travailleurs de la centrale, aucun décès ou de maladie dont l'origine radio-induite n'a été démontrée pour le moment (Libération). Au total, 470 000 personnes ont été évacuées et 53 000 étaient toujours hors de chez eux en janvier 2018.

A titre de comparaison, 3 260 personnes ont perdu la vie sur les routes de France métropolitaine rien qu'en 2022, et les ruptures de barrages ont fait plus de 2 000 morts en Europe depuis 1959, et plus encore dans le reste du monde, jusqu'à des dizaines de milliers de morts en un accident (Barrage de Banqiao), et des accidents aussi récents que 2021. En France, personne n'a même été déplacé ou sérieusement affecté par le nucléaire alors qu'il représente la majorité de l'électricité produite depuis plusieurs décennies.

Par ailleurs, un accident tel que celui de Tchernobyl est impossible avec les réacteurs exploités en France. Ceux de Tchernobyl étaient des réacteurs RBMK. Comme l'indique l'IRSN, les réacteurs RBMK sont vulnérables à une réaction en chaine de l'augmentation de la température et de la puissance jusqu'à explosion du cœur du réacteur. Dans les réacteurs français (générations REP et EPR), la puissance du réacteur diminue lorsque la température augmente, de sorte que le réacteur se stabilise de lui-même en cas de problème.

A la suite de Fukushima de nouvelles mesures de sécurité ont été prises et un nouvel accident similaire est peu probable mais le risque n'est jamais nul. En revanche si un accident se produisait, il serait limité à des conséquences locales.

Coûts du nucléaire

Le nucléaire est également contesté pour son coût, mais le sujet a évidemment été abordé par RTE, ADEME et le GIEC.

L'ADEME a estimé les coûts complets par scénario jusqu'à 2050, en EUR par MWh consommé.

Les scénarios les plus sobres sont les moins coûteux. Le scénario le plus consommateur est le plus coûteux. En revanche, les deux variantes EnR/nucléaire du scénario S3 ont des coûts très proches.

Du côté de RTE, à l'horizon 2030, la prolongation du nucléaire existant est moins coûteux que les EnR.

Mais à l'horizon 2050, la plupart des EnR seront moins coûteuses que le nouveau nucléaire.

Cependant, RTE précise que :

Comme évoqué précédemment, cette analyse restreinte aux seuls coûts de production (comparaison des «LCOE») n’est pas appropriée pour conclure sur la pertinence économique des choix de mix électrique. Comme évoqué en introduction de ce chapitre, une analyse rigoureuse des coûts complets des choix de politique énergétique impose de prendre également en compte les coûts de la flexibilité pour assurer l’équilibre offre-demande ainsi que les coûts du réseau (raccordement et adaptation).

De plus, la tendance à la réduction des coûts des énergies renouvelables pourrait être contrecarrée par le fait que la poursuite de leur développement conduira à exploiter des gisements moins intéressants, ou par des tensions sur l’approvisionnement en certains composants nécessaires à leur fabrication (voir partie 5.5 variante «mondialisation contrariée»).

En effet, du fait de l'intermittence de la production et de la dispersion des sites, les EnR nécessitent des coûts supplémentaires importants pour assurer la flexibilité et le transport de l'énergie produite. Ainsi, RTE a aussi estimé les coûts complets annualisés des scénarios à l'horizon 2060 :

Il en ressort que les scénarios exploitant le plus le nucléaire seront moins coûteux.

Pour résumer, selon RTE :

Construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique, a fortiori quand cela permet de conserver un parc d’une quarantaine de GW en 2050 (nucléaire existant et nouveau nucléaire) ;

Les énergies renouvelables électriques sont devenues des solutions compétitives. Cela est d’autant plus marqué dans le cas de grands parcs solaires et éoliens à terre et en mer ;

Au niveau international, le GIEC a estimé les coûts de réduction des émissions de CO2 selon les filières d'ici 2030 :

Les énergies renouvelables, en particulier l'éolien et le solaire, ont un bien plus grand potentiel de réduction des émissions, à un coût généralement moindre que le nucléaire. Cependant, plus elles sont exploitées, plus elles deviennent coûteuses par rapport au gain, et le nucléaire peut alors être plus avantageux que les EnR dans de faibles proportions.

Déchets radioactifs

Autre problème du nucléaire, ses déchets radioactifs. Selon l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), 1 760 000 m3 de déchets radioactifs sont stockés en 2021. 60 000 de plus par rapport à 2020.

  • TFA : très faible activité
  • FMA-VC : faible et moyenne activité à vie courte
  • FA-VL : faible activité à vie longue
  • MA-VL : moyenne activité à vie longue
  • HA : déchets haute activité
  • DSF : déchets sans filière
  • très faible activité : inférieure à 100 becquerels par gramme
  • faible activité : entre quelques centaines de becquerels par gramme et un million de becquerels par gramme
  • moyenne activité : de l’ordre d’un million à un milliard de becquerels par gramme
  • haute activité : de l’ordre de plusieurs milliards de becquerels par gramme
  • vie courte : période inférieure ou égale à 31 ans
  • vie longue : période supérieure à 31 ans

Quelques exemples de radioactivité naturelle : un litre de lait : 60 Bq, un litre d’eau de mer : de 10 à 15 Bq, le sol granitique : 8000 Bq/kg, un enfant de 5 ans : 600 Bq, un homme de 70 kg : 10000 Bq.

60.9 % des déchets proviennent de la production d'énergie nucléaire. Le reste provient de la recherche, défense, industrie, médical... 94,9 % de la radioactivité provient des déchets HA. Et 94,9 % de la radioactivité provient des déchets HA.

Les déchets sont stockés en fonction de leur période radioactive et activité, avec stockage géologique profond en projet (projet Cigéo) pour les déchets actifs à vie longue.

Indépendance énergétique

La totalité du combustible de nos centrales nucléaires est importé de l'étranger. Pour près des trois quart, du Kazakhstan, d'Australie, du Niger, Ouzbékistan selon les données du Comité technique Euratom citées par le Monde.

De ce fait, la France est dépendante de pays étrangers pour son approvisionnement énergétique. Cependant, les pays exportateurs d'uranium sont plus stables que les pays exportateurs de pétrole, notamment l'Australie et le Canada, et c'est un marché libre (contrairement à l'OPEP). Aussi la France possède 250 mines d'uranium selon l'IRSN mais elles ne sont actuellement pas exploités parce que l'approvisionnement à l'étranger revient moins cher.

La sobriété et ses conséquences

La majorité des scénarios (ADEME, RTE, GIEC, etc.) comptent entre autre sur la sobriété pour parvenir aux objectifs de réduction du réchauffement climatique. Et notamment sur une décroissance des énergies fossiles et de la consommation de matières premières.

Mais en supplément des EnR et de cette sobriété déjà planifiée, et pour se dispenser totalement du nucléaire, certains scénarios comptent sur une sobriété encore plus prononcée pour réduire notre consommation d'énergie. C'est notamment le cas de négaWatt qui est le seul à ne pas anticiper de croissance économique dans son scénario.

Or une sobriété accentuée, avec décroissance (ou a-croissance) économique, a également des inconvénients pour le niveau de vie la population.

Comme l'écrit le GIEC :

Dans le même temps, un développement économique rapide et à grande échelle (qui, par le passé, a été à l'origine du changement climatique en raison de la modification de l'utilisation des terres et de la dépendance à l'égard des combustibles fossiles) est largement considéré comme nécessaire pour améliorer le bien-être mondial et sortir de la pauvreté des millions de personnes, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire (Chen et al. 2017 ; Mugambiwa et Tirivangasi 2017 ; Lu et al. 2019 ; Baarsch et al. 2020) (figure 1.6). Ce courant de littérature souligne l'importance de la croissance économique, y compris pour lutter contre le changement climatique lui-même, en mettant en évidence la relation entre le développement économique et la résilience climatique, ainsi que le rôle des technologies alimentées par l'industrie, telles que les véhicules électriques, dans la réduction des niveaux de GES et la promotion du bien-être (Heinrichs et al. 2014 ; Kasztelan 2017).

Deuxièmement, même si le PIB (ou mieux, le PIB par habitant) n'est pas un indicateur de bien-être (Fleurbaey et Blanchet 2013), les variations du PIB par habitant entre les pays et dans le temps sont fortement corrélées avec les variations des indicateurs de bien-être dans les domaines de la pauvreté, de la santé et de l'éducation (Gable et al. 2015).

Pour l'ADEME aussi, le scénario qui repose le plus sur la sobriété a des conséquences :

Le scénario S1 « Génération frugale » est celui qui mise le plus sur la sobriété. La transition repose essentiellement sur la baisse de la production de biens carbonés,

Le nombre d’emplois diminue par rapport au tendanciel d’approximativement 4 %. Le revenu disponible des ménages est donc moins important. Leur pouvoir d’achat diminue malgré la désinflation et la baisse de leur facture énergétique. La consommation est donc moins dynamique. En définitive, le taux de croissance annuel moyen du PIB atteint 1,1 % contre 1,3 % dans le tendanciel

Tous les autres scénarios débouchent sur une réduction du chômage, une amélioration du revenu disponible des ménages et une baisse du déficit public par rapport au tendanciel, alors même que les conséquences négatives du réchauffement climatique n’ont pas été prises en compte dans le tendanciel, ni l’impact positif sur notre compétitivité des politiques de transition mises en œuvre par le reste du monde.

Finalement, pour RTE, alors même que son scénario sobriété ne remet "pas en cause le caractère haussier" de la consommation d'électrictricité, c'est un scénario "en partie contre-tendanciel, qui nécessiterait une inflexion très marquée des modes de vie". La sobriété pourrait reposer "essentiellement sur des changements volontaires initiés par les citoyens à l’échelle individuelle ou collective", à condition que "ces nouveaux modes de vie sont adoptés à l’échelle de l’ensemble de la société, mais limité si une partie voire une majorité de la population y demeure hostile". Sans quoi, il faudrait un autre type de sobriété "où les modes de vie évolueraient par la contrainte, par exemple via des réglementations s’appliquant aux individus et aux organisations".

Dans l'hypothèse d'une absence de croissance, cela pourrait même selon RTE réduire les financements disponibles et devenir contre productif pour la décarbonation :

Dans les configurations proposées, de telles perspectives d’absence de croissance du PIB tendraient d’un côté à favoriser la maîtrise de la demande énergétique mais pourraient de l’autre susciter des difficultés sur le financement de la transition énergétique. En effet, une telle situation serait susceptible de conduire à une forme de rareté des finances publiques et donc à des phénomènes d’éviction des investissements, rendant plus difficile le financement des infrastructures nécessaires à la décarbonation.

Les précédents de l'Allemagne et du Japon

D'autres pays ont déjà entrepris l'arrêt du nucléaire, notamment après la catastrophe de Fukushima. C'est en particulier le cas du Japon et de l'Allemagne, comme l'explique le rapport de RTE :

Il existe deux précédents récents de fermeture très rapide de réacteurs nucléaires : l’Allemagne (de manière programmée) et le Japon (de manière instantanée).

L’Allemagne a commencé sa sortie du nucléaire au lendemain de l’accident de Fukushima-Daiichi. Elle a immédiatement mis à l’arrêt huit réacteurs, puis a programmé la fermeture des autres en l’étalant sur une durée de 11 ans. À l’issue de ce programme, fin 2022, l’Allemagne aura fermé 17 réacteurs en 11 ans, produisant à l’origine près de 150 TWh, soit une réduction d’un rythme de 14 TWh/an. Cette fermeture a été accompagnée d’une forte croissance du développement de l’éolien et du solaire (+ 110 TWh entre 2011 et aujourd’hui), qui néanmoins demeure insuffisante pour permettre la fermeture simultanée des centrales à charbon. Le rythme de fermeture des réacteurs dans la trajectoire accélérée est supérieur à celui de l’Allemagne. Quant au Japon, la fermeture immédiate des réacteurs (dont certains ont depuis été redémarrés) a été compensée en large partie par la remise en service de capacités thermiques peu utilisées, complétée par des programmes d’économie d’énergie, l’utilisation des énergies renouvelables demeurant très faible.

Ainsi dans ces deux précédents, l'arrêt du nucléaire a conduit en pratique à la remise en service ou l'annulation de fermeture de centrales à charbon alors même que l'objectif prioritaire est la réduction des émissions de CO2. A noter, la fermeture des 3 derniers réacteurs allemands a néanmoins été reporté jusqu'à avril 2023 à cause de la guerre en Ukraine et le Japon envisage désormais de relancer sa production nucléaire (Le Monde).

Il faut privilégier la réduction du réchauffement climatique à l'arrêt du nucléaire

Chaque solution comporte ses propres incertitudes, limites et inconvénients, et nous ne sommes pas contraints de faire un choix exclusif et définitif entre nucléaire, EnR et sobriété. D'autant qu'aucun scénario n'offre à l'heure actuelle la garantie d'être meilleure que les autres en toutes circonstances, toutes proportions, et de façon définitive. Chaque solution doit être exploitée pour les avantages qu'elle apporte par rapport aux autres.

Les énergies renouvelables sont plus rassurantes que le nucléaire pour la population, ne produisent pas de déchets radioactifs et leurs coûts diminuent. D'ici 2050, elles représenteront certainement la majorité de nos capacités de production d'énergie en France et dans le monde. La sobriété aussi doit faire partie de notre stratégie énergétique pour les décennies à venir puisqu'il faudra mieux maîtriser notre consommation d'énergie. Mais même les EnR et la sobriété ont leur limites, et une part de nucléaire est préférable à des risques de pénuries ou une sobriété contrainte et rude.

Il n'y a dès lors pas de solution sans risque, et surtout, l'objectif principal est avant tout de réduire le réchauffement climatique puisque c'est un danger global, avec des conséquences graves et irréversibles. Or cet objectif n'est absolument pas acquis et écarter l'un des moyens de réduction, en l'occurrence le nucléaire, en limiterait les chances. Ce qui serait fondamentalement contradictoire avec l'intention de faire de la réduction du réchauffement une priorité.

Un avenir idéal avec un réchauffement climatique réduit à zéro et sans nucléaire est peut-être possible. Mais en attendant d'en avoir la certitude et de vouloir faire mieux au risque de faire moins bien, la prudence devrait conduire à privilégier la réduction du réchauffement climatique à l'arrêt du nucléaire, puisque le premier représente une menace bien plus grande que le second.