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Koloky, une plateforme conçue pour des débats constructifs


Le débat est une chose noble et on aime se l'imaginer comme une confrontation claire et complète d'arguments contradictoires, dans le but de produire une valeur ajoutée intellectuelle, et de convaincre ou se laisser convaincre par de nouvelles idées. A la manière de thèses claires, structurées, argumentées, avec des sources vérifiable, interagissant entre elles pour révéler la meilleure réponse ou aboutir à une synthèse mutuellement plus forte.

C'est en tout cas pour ça que l'on débat. Malheureusement on en ressort trop souvent déçus parce que les débats sont viciés par de multiples problèmes.

Les problèmes des débats actuels

Un débat n'est pas naturellement constructif. Il ne suffit pas d'une envie de débattre pour produire un débat constructif. Il nécessite des conditions favorables et des efforts spécifiques pour contrer les difficultés qu'il implique. Or on ne peut débattre constructivement sans connaître et éviter les limites et les pièges propres à la nature de ses participants et de son environnement.

Difficultés inhérentes au débat

  • Manque de temps : Parce que la durée du débat est limitée, ou parce qu'on ne peut personnellement y consacrer qu'un temps limité.
  • Manque de mémoire : Difficile d'avoir en mémoire avec précision et sur le moment, l'entièreté des informations utiles.
  • Accès lent à l'information : Chaque fait ou information énoncée lors d'un débat, nécessite du temps pour être vérifié. Il est difficile de tout fact-checker dans le temps imparti du débat.
  • Manque de préparation : La représentation des points de vue dépend du niveau de préparation des intervenants, qui a lui même ses limites.
  • Manque d'organisation : Il est difficile d'organiser et archiver les débats pour en permettre une relecture simple et claire, pour par exemple rapidement trouver les contre-arguments à un argument spécifique.

Difficultés inhérentes à la politique

  • Pour le grand public : Les représentants politiques s'adressent à un public large, généralement pas spécialiste du sujet, et les arguments les plus accessibles, voire démagogiques, sont plus efficaces.
  • Objectif idéologique : Les politiques représentent des courants idéologiques et les débats rationnels peuvent être moins efficaces que d'autres formes de communications, reposant sur les instincts ou les émotions, pour diffuser ces idéologies.
  • Composante stratégique : Ils défendent plusieurs causes et peuvent parfois en sacrifier certaines pour en avantager d'autres stratégiquement, malgré leurs propres convictions.
  • Devoir de solidarité : Les représentants politiques appartiennent à des groupes qu'ils doivent soutenir au risque d'en être exclu et de perdre beaucoup de visibilité. Cela peut faire d'eux des soldats, dont la mission est de combattre n'importe quel argument adverse et promouvoir les siens de quelque manière que ce soit.
  • Jeu de rôles : Pour plaire à leur électorat et contribuer à la réussite de leurs objectifs politiques, les représentants politiques peuvent être amenés à incarner un personnage et un discours différent de la personne qu'ils sont en privé ou dans des débats sans enjeu important.

Difficultés inhérentes à l'époque actuelle

  • Surcharge informationnelle : Le problème n'est plus le manque d'information, mais la difficulté à organiser et trier l'abondance d'information. En conséquence, nos propres biais font un tri instinctif en ignorant une grande partie de cette information pourtant disponible pour ne privilégier qu'une petite partie plus plaisante à entendre.
  • Abondance de médias : Avec l'abandondance et la diversité de médias, par leurs opinions et leurs formes, il est facile de se faire sa bulle médiatique avec des sources présélectionnées selon ses affinités idéologiques.
  • Hyper-réactivité : Et avec le développement de médias en continu, et le développement d'internet, il y a une course aux réactions instantanées voire précipitées.

Difficultés inhérentes à la nature humaine

  • Manque d'éducation au débat : Beaucoup participent à des débats sans avoir appris à dialoguer de façon constructive, à reconnaître les raisonnement fallacieux ou les artifices rhétoriques.
  • Méfiance : Il est difficile de débattre constructivement quand on ne fait pas confiance à la bonne foi de son interlocuteur.
  • L'ego : Qui nous pousse à avoir le dernier mot, ou à abuser de mauvaise foi ou sophismes pour "gagner".
  • Narcissisme & Dopamine : A cause desquels on recherche de l'attention personnelle au détriment du débat, notamment par les signaux d'engagement (likes, citations, etc.).
  • Identité idéologique : Nos convictions font partie de notre identité, et quand elles sont attaquées, nous le ressentons comme une attaque personnelle et cela nuit à notre objectivité.
  • Schadenfreude : C'est la joie malveillante que l'on ressent en observant le mécontentement d'autrui (ex. "ouin ouin", "je bois vos larmes"), et ce qui alimente le "trollage".
  • Besoin de se rassurer : Par des mécanismes d'autopersuasion, cherry-picking d'informations rassurantes et rejet de la critique et d'informations déplaisantes (abus du label "fake news"), et en s'entourant de personnes aux opinions semblables.
  • Les émotions : Qui altèrent notre rationalité et provoquent des réactions impulsives, en réaction à des faits divers, des provocations ou tout autre forme d'appel aux émotions.
  • Eloquence : Le paraître, la rhétorique, l'assurance peuvent être plus convaincants que la raison. Une personne ignorante mais éloquente et catégorique apparaîtra plus convaincante qu'une personne plus prudente et nuancée.
  • Paresse : Beaucoup débattent en dilettante et ne retiennent que les solutions simples, au risque même de trop simplifier la réalité, et se font une représentation binaire du débat. C'est aussi une habitude de rechercher le propos plus facilement attaquable, le plus extrême, ou encore à simplifier l'opinion adverse en homme de paille, et d'y répondre avec le minimum d'effort, au lieu de s'intéresser aux nuances et la complexité du sujet.
  • Tribalisme : Le besoin social d'appartenir à un groupe qui conduit au manichéisme et à combattre sans discernement chaque argument adverse comme un soldat.
  • Autres biais cognitifs : Même de bonne foi, le cerveau humain est sujet à une multitude de biais.

Problèmes inhérents aux plateformes en ligne

Nous ne pouvons fondamentalement changer la nature humaine, la politique ou notre époque. Ce sont des difficultés avec lesquelles il faut composer. En revanche, nous pouvons concevoir les plateformes pour prendre en compte ces difficultés et s'y adapter.

La plupart des plateformes de discussions actuelles sont cependant conçues pour le divertissement, pas pour débattre constructivement, et ont des vices de conception qui ne prennent pas en compte les difficultés précédemment identifiées :

  • Aucune sélection des participants : Presque n'importe qui peut participer à n'importe quelle discussion. Il n'y a pas de critère de bonne volonté ou de compétences pour participer. Parfois même, certains débattent de sujets en ne partageant aucune des prémisses.
  • Promotion de l'outrance : Les plateformes tirent leurs profits de la publicité, donc de l'engagement. Les contenus qui exacerbent les émotions, notamment la colère ou l'indignation, participent à cet engagement. Les trolls sont récompensés de leurs provocations en obtenant de l'engagement (phénomène contagieux) et certains groupes deviennent des concours de contenus toujours plus outranciers.
  • Intolérance de la contradiction : Il est trop facile de "downvoter" ou d'innonder de réponses négatives un commentaire contrariant. Un spécialiste y est facilement débordé par une opposition idéologique majoritaire.
  • Déshumanisation : Il y a peu empathie mutuelle et une grande défiance envers les autres, d'où les attaques personnelles récurrentes.
  • Confusion avec le divertissement : Les discussions en ligne mélangent souvent divertissement et débats de fond. Les tentatives d'argumentation sont perturbées par les blagues et sarcasmes méprisants. Le 2nd degré permet aussi souvent de diffuser des idées en se défaussant derrière "l'humour".
  • Individualité : Chaque utilisateur y va de ses propres commentaires individuels. Il y a peu de collaboration pour défendre un point de vue même si il est partagé par un grand nombre. Parfois même, les partisans d'une opinion utilisent des arguments qui se contredisent, sans que ça ne provoque de débats entre eux puisque leur seul objectif individuel est de contredire le camp adverse.
  • Pas organisés : Les débats sous forme de discussions en ligne, ne sont pas organisés pour être re-exploitables. Il n'y a pas de structure logique entre arguments & contre-arguments, les sujets sont vagues et mouvants, et les commentaires généralement très partiels, hyper-critiques sur des points précis et totalement ignorant du reste. C'est un méli-mélo d'échanges enchevêtrés, partiels, décousus, redondants et sans cohérence générale.

Des débats contre-productifs

Du fait de toutes ces difficultés et problèmes, filtrer tout le bric-à-brac des commentaires en faisant fi des provocations et puérilités pour ne se concentrer que sur le constructif requiert une certaine volonté consciente. Ceux qui n'ont pas cette détermination en oublient l'objectif originel et sont hébétés par la masse de commentaires impertinents. Insidieusement, on s'approprie les mauvaises habitudes, non plus pour convaincre et être convaincu, ni même pour contribuer efficacement à sa propre cause, mais pour obtenir comme d'autres des micro-victoires virtuelles et personnelles.

Lorsque le débat est trop peu constructif, il braque les interlocuteurs dans leur point de vue initial plus qu'il ne les ouvre à la réflexion. Pour renforcer l'opinion d'une personne, il est même plus efficace de défendre l'opinion adverse agressivement que de lui donner raison. Or c'est comme ça que se déroulent trop souvent les débats, avec l'objectif de "gagner" même si à défaut de convaincre, cela polarise et renforce les autres dans leurs propres convictions. Certains finissent même pas rejeter d'office tout argument pour la simple raison qu'il soit prononcé par l'adversaire, désormais considéré comme un ennemi, et à tenter de détruire sa représentation dans un débat devenu un combat.

Pour éviter les provocations du tout venant agressif, il est tentant de s'enfermer dans un espace protégé, une bulle, entre personnes partageant plus ou moins les mêmes opinions. Au risque de tomber dans le travers inverse, en remplaçant le pugilat par l'entre-soi et en écartant la contradiction pour ne se nourrir intellectuellement que de commentaires auto-validant. Mais difficile de s'assurer de la solidité de sa propre opinion sans faire face à une représentation fidèle de l'opinion adverse.

Les réseaux sociaux ne sont d'ailleurs pas conçus pour permettre à des adversaires de coexister en bonne intelligence. Les forums, Twitter, Facebook, Reddit, et autres réseaux sociaux, sont avant tout destinés à créer de l'engagement de toute nature, et n'ont pas pour objectif principal de produire des débats constructifs. On en ressort ainsi diverti, mais aussi plus souvent polarisés qu'on y entre.

Comment donc trouver un équilibre et faire coexister des adversaires pour permettre un débat qui puisse convaincre plus qu'il ne polarise ?

Malheureusement, il y a peu d'alternative pour débattre sur internet. Encore moins pour débattre constructivement, et les rares à avoir essayé comme Wikidébats, ne parviennent pas à attirer suffisamment de monde pour créer de l'inertie, notamment parce qu'il est difficile de concilier attrait et contraintes du débat constructif. La structure y est plus plus complexe, moins fluide, et le contenu moins engageant que sur les plateformes généralistes.

Une plateforme conçue pour le débat constructif

Pour enfin se défaire de cette frustration produite par la stérilité des débats, il fallait réfléchir à la conception d'une plateforme spécifiquement conçue spécifiquement pour des débats constructifs, sans les aseptiser et perdre en engagement. Avec plusieurs sous-objectifs pour y parvenir :

  • que les débats soient organisés pour être re-exploitables, au lieu d'être perpétuellement perdus et reproduits de zéro
  • tout en préservant une grande simplicité et flexibilité
  • faciliter la collaboration pour la défense d'un point de vue commun
  • permettre l'accumulation de contributions qualitatives plutôt que quantitatives, et produire des contenus persistants et "vivants", complétés et améliorés avec le temps et au gré des nouvelles informations disponibles
  • favoriser les argumentations complètes, cohérentes, plutôt que les commentaires individuelles, anecdotiques et décousus
  • intégrer la contradiction sans virer au pugilat
  • favoriser une réflexion avec plus de recul, moins impulsive
  • rester ouvert à tous, tout en filtrant les contributions inutiles
  • mettre en avant les contenus convaincants plutôt que populaires
  • dépersonnalisé, pour des débats de fond au lieu de débats de personnes

Ce qui a conduit, après beaucoup de tergiversations, à l'actuelle version de Koloky.

Le fonctionnement est simple. N'importe qui peut créer une "opinion", c'est à dire un simple texte défendant un point de vue, modifiable via un éditeur, et la publier. Ensuite, semblable à un projet Github, vous pouvez recevoir ou soumettre des contributions à une "opinion", afin de produire la meilleure "opinion" collective au lieu d'avoir de multiples versions redondantes écrites individuellement et moins qualitatives ou incomplètes. Pour interagir, il y a deux méthodes principales. Auprès des opinions adverses, en y sélectionnant des passages pour y intégrer les "contre-arguments" de vos opinions, et réciproquement. Ou entre-soi, par des discussions plus informelles similaires à un forum.

La forme "article" est préférée à des commentaires personnels, pour développer une opinion dans son ensemble, de façon cohérente, sans dépendre de la bonne volonté des autres interlocuteurs, tout en restant simple à lire ou à écrire. L'aspect collaboratif doit permettre de cumuler qualitativement les contributions en un article commun, au lieu de se disperser dans une multitude de commentaires personnels et redondants pour défendre un point de vue pourtant commun. Cela doit aussi permettre de réduire l'effort global nécessaire pour la complétion du débat. L'interaction inter-opinions par sélection de "contre-arguments" doit permettre la contradiction et empêcher l'effet bulle de façon structurée. En parallèle, les discussions intra-opinions doivent aider la collaboration ou permettre les discussions plus futiles sans perturber le débat inter-opinions.

A cela s'ajoute des fonctionnalités secondaires, pour soutenir des opinions, partager et communiquer efficacement les opinions en dehors de la plateforme, conserver des passages intéressants, suivre les modifications des opinions, etc.

Bien sûr Koloky ne changera pas la nature humain, la nature de la politique, et ne remplacera jamais les réseaux sociaux traditionnels, mais peut-être que ça permettra au moins d'avoir un espace pour tous ceux qui souhaitent apprendre ou convaincre efficacement via des débats constructifs.

Le projet est récent, encore en test, et d'autres évolutions sont à venir donc rien n'est encore figé et n'hésitez surtout pas à partager de vos idées pour l'améliorer.